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Ma thèse de doctorat

 

 

"La hiérarchisation des constituants discursifs dans un corpus d'anglais oral spontané".
Sous la direction de Claude Delmas.
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle.
Inscription et dépôt du sujet en octobre 2000. Soutenance le 12 novembre 2004.
Mention très honorable avec les félicitations du jury à l'unanimité.

 

Résumé détaillé

Le travail que nous présentons ici aborde la question de la hiérarchisation des constituants discursifs en anglais oral spontané tel qu'il se manifeste dans un corpus conversationnel. En nous appuyant sur la description de données originales, nous analysons dans quelle mesure l'organisation du discours est le résultat de la combinaison de phénomènes issus de la double dimension "segmentale" (ou syntaxique) et "suprasegmentale" (ou prosodique) de l'oral. Une attention portée à ces deux plans nous permet d'appréhender divers modes de structuration de l'anglais oral, du point de vue syntaxique, mais également du point de vue thématique et interactionnel, sans jamais perdre de vue que le discours conversationnel est le lieu d'enjeux énonciatifs.
Notre exposé se compose de trois grands développements. Le premier définit le cadre théorique et méthodologique dans lequel notre recherche s'inscrit. Les deux autres parties se répartissent l'analyse détaillée de quelques faits de hiérarchisation observés sur le plan segmental, d'une part, et sur le plan suprasegmental d'autre part.

Première partie

L'objectif de ce premier développement est d'exposer les bases théoriques et méthodologiques sur lesquelles se fonde notre travail.
Notre premier chapitre propose une réflexion sur les différentes traditions dont notre projet de recherche peut envisager de se réclamer. Il cherche en ce sens à définir l'extension de notre domaine de recherche. L'objet d'étude que nous nous donnons nécessite de considérer à la fois la tradition des études des "éléments musicaux" (FAURE, Georges (1962). Recherches sur les caractères et le rôle des éléments musicaux dans la prononciation anglaise. Paris : Didier.) de la langue, et celle des études linguistiques proposant une description de la langue ou du discours. Il s'agit ainsi tout d'abord de mesurer l'apport des études antérieures en retraçant rapidement les étapes de la constitution de l'étude de l'intonation de la langue anglaise en tant que domaine de recherche à part entière. Un tour d'horizon des études antérieures nous permet ensuite de déterminer quels modèles existants prendre en compte. Au confluent de plusieurs domaines, notre travail s'enrichit d'une réflexion sur les hypothèses, les méthodes et les résultats proposés par les linguistes (spécialistes ou non de la langue orale), mais aussi les musiciens et les acousticiens.
Notre deuxième chapitre est consacré à la description du modèle théorique que nous adoptons. Nous nous attardons sur le modèle de M.-A. Morel & L. Danon-Boileau (MOREL, Mary-Annick & DANON-BOILEAU, Laurent (1998). Grammaire de l'intonation, L'exemple du français. Gap : Paris.), établi pour le français, dont nous envisageons les possibilités d'adaptation à la description de l'anglais oral spontané. Ce chapitre est également l'occasion d'énoncer nos hypothèses de départ. La première concerne la syntaxe de l'oral, dont nous faisons l'hypothèse qu'elle est sensiblement différente de celle de l'écrit. Sa moindre densité et sa moindre variété permettrait ainsi aux paramètres intonatifs de jouer un rôle compensateur et structurant. C'est ainsi qu'il nous semble possible de postuler des fonctionnements prosodiques interprétables à différents niveaux pour chacun des paramètres. Notre dernière hypothèse s'inspire de la théorie mathématique des objets fractals et voit dans l'oral spontané un système dont la cohésion tient au moins en partie à la répétition du même phénomène à différentes profondeurs de structuration.
Enfin, il s'agit de convoquer, dans notre troisième chapitre, les outils et méthodes que nous nous donnons pour vérifier ces trois hypothèses. La présentation du corpus conversationnel qui constitue notre réservoir d'exemples s'accompagne d'une réflexion sur la méthodologie adoptée pour son enregistrement et pour l'établissement de la transcription et des courbes d'analyse prosodique figurant dans le second volume de ce travail. Ce corpus original rassemble les productions orales spontanées de 11 locuteurs, qui ont prononcé près de 50000 mots sur un total de plus de 7 heures d'enregistrement.

Deuxième partie

La hiérarchisation des constituants discursifs à l'oral s'appuie largement sur l'ordre des mots tel qu'il est déterminé par les structures syntaxiques de la langue. Celles-ci organisent en effet le discours en unités dépendantes et unités indépendantes et les disposent dans le linéaire de surface. C'est ainsi que les unités propositionnelles sont organisées dans le cadre de la relation de subordination syntaxique. Cette deuxième partie de notre travail s'intéresse à certains faits de hiérarchisation induits par la subordination syntaxique. L'une de nos hypothèses de départ postule que l'oral spontané est caractérisé par une syntaxe différente de celle de l'écrit. En quel sens les éléments subordonnés syntaxiquement sont-ils hiérarchisés ? En quoi l'oral spontané illustre-t-il un fonctionnement spécifique de la subordination ?
Le chapitre 4 établit un certain nombre d'éléments pour une analyse distributionnelle. L'une des caractéristiques de la syntaxe de l'oral telle qu'elle s'illustre dans notre corpus est la faible variété des structures et des marqueurs utilisés, en regard de la grande diversité offerte par la grammaire. Nous montrons que ce phénomène s'illustre à plusieurs échelles, conformément à l'hypothèse fractale. Il apparaît tout d'abord que les catégories sémantiques des propositions subordonnées circonstancielles les plus représentées à l'oral sont les causales et les conditionnelles, au détriment de toutes les autres. La fréquence de ces deux types de circonstancielles est une caractéristique de la conversation spontanée, qui la distingue de l'écrit. Nous nous intéressons ensuite à l'éventail des conjonctions de subordination que l'on retrouve le plus fréquemment à l'oral. A cet effet, nous comparons des données issues de notre corpus, du corpus de la Longman Grammar of Spoken and Written English (LGSWE) de D. Biber et al. (BIBER, Douglas et al. (1998). Longman Grammar of Spoken and Written English. Londres : Longman.) et le British National Corpus (BNC). En nous limitant aux seules conjonctions les plus simples (if, because/cos, when, before, while, although, until, since et after), nous constatons que trois d'entre elles, if, when et because/cos, représentent à elles seules 90% des conjonctions simples utilisées. Nous proposons l'hypothèse selon laquelle cette réduction assumée du champ des possibles est une caractéristique structurelle de la conversation spontanée.
Notre chapitre 5 montre cependant que l'oral est riche d'un marqueur supplémentaire par rapport à l'écrit : cos. En dépit d'un certain nombre de faits le rapprochant de because, il s'agit d'un marqueur à part entière dont certains contextes, liés à des critères distributionnels spécifiques, favorisent l'apparition.
Parmi ces critères distributionnels, nous pensons tout d'abord aux sujets syntaxiques utilisés dans la proposition principale des énoncés en because et cos. Notre étude se limite aux pronoms personnels dont le référent est un animé humain. Nous montrons que les énoncés en cos contiennent de façon privilégiée un sujet à la première ou la deuxième personne du singulier ou du pluriel, tandis que because est lié à la troisième personne. Ensuite, la place des pauses silencieuses constitue un critère distributionnel permettant de distinguer les deux marqueurs. On les trouve de façon caractéristique entre la principale et la subordonnée lorsque celle-ci est introduite par cos, alors qu'elles se situent de préférence dans la subordonnée avec because.
Typiquement, les énoncés en because et cos se présentent sous la forme suivante, conformément à nos observations concernant la place des pauses silencieuses et le type de sujet syntaxique de la principale :
He/she/they + V ... + because + pause + S + V ...
I/you/we + V ... + pause + cos + S + V ...
Enfin, la présence de marques du travail de formulation (parmi lesquelles les pauses silencieuses d'hésitation, pauses pleines, faux départs) et de prise en charge (dont I mean, you know) caractérise les énoncés en because, qui sont en cela significativement différents des énoncés en cos. Non seulement les énoncés en cos sont moins nombreux à contenir de telles marques, mais celles-ci y sont moins denses.
Ces critères distributionnels différents correspondent à des contextes d'apparition spécifiques à l'un et l'autre des marqueurs. La place typique de la pause dans un énoncé en because renseigne sur la fonction de celle-ci : il s'agit quasiment invariablement d'une pause d'hésitation, marque du travail de formulation. L'élaboration du propos dans les énoncés en because semble plus difficile que dans les énoncés en cos où nous analysons la relation entre p et q comme davantage congruente. Cette différence est également reflétée selon nous par la proximité des référents des sujets syntaxiques typiquement associés avec l'un et l'autre des marqueurs. La sphère du "eux", caractéristique de because, témoigne d'un plus grand éloignement entre les représentations mentales engagées par les parties prenantes du discours et les actants du procès dont il est question. Avec la sphère du "nous", davantage associée à cos, la proximité des énonciateurs et des actants rend la validation moins problématique.
La prise en charge des validations se fait en T0 avec because, alors qu'elle a tendance à être déjà acquise avec cos. Couramment associé à so, because apparaît dans des contextes où il est appelé à faire montre d'une force argumentative supérieure à cos. Ce dernier est quant à lui plus souvent lié à but. Sur le plan de la relation inter-sujets, because apparaît dans un contexte où l'énonciateur anticipe une possible divergence de représentations, tandis que cos est davantage lié à un contexte où le contenu de pensée de l'autre est anticipé comme consensuel ou n'est pas pris en compte.
Le chapitre 6 montre que la syntaxe de l'oral se caractérise par une utilisation différente des formes habituelles, notamment en ce qui concerne la subordination causale.
Notre étude de la subordination en because/cos montre que le lien entre subordonnée et principale tend à être relativement lâche. Une forme originale apparaît de façon récurrente, que nous désignons sous le terme de "collaboration", dans laquelle subordonnée et principale ne sont pas prononcées par le même locuteur. Proposition repère et proposition repérée proviennent de sources différentes.
D'autre part, nous relevons peu de formes dont la syntaxe indique que la subordonnée apporte une restriction à la relation prédicative exprimée dans la principale. Cependant, les énoncés dont la subordonnée constitue un commentaire métalinguistique sont également relativement peu nombreux. Dans une large partie de nos exemples, la relation entre p et q peut être interprétée comme appositive. La subordonnée énonce simplement une circonstance non restrictive incidente à la validation de la relation prédicative dans p, sans pour autant relever véritablement du métalinguistique.
La créativité de la langue s'illustre enfin dans son emploi des marqueurs de la subordination afin de signaler le statut discursif respectif des éléments liés. Ce n'est donc pas de dépendance syntaxique qu'il s'agit mais d'une dépendance thématique. Il est significatif que l'emploi de because/cos ne soit que très marginalement lié à l'interrogatif why (moins de 1%).
Le sémantisme causal induit par des marqueurs comme because/cos ou so se trouve singulièrement affaibli dans la conversation spontanée. Les marqueurs tissent un réseau relatif à l'organisation discursive, qui oppose des éléments de premier plan et des éléments d'arrière plan. Ainsi, because/cos introduit un élément secondaire, tandis que so signale typiquement un segment relatif à la ligne principale du discours. La hiérarchisation des constituants tend donc à glisser du plan syntaxique, où s'illustrent les conjonctions, vers celui de l'organisation discursive, domaine des ligateurs.
Notre travail montre également que l'un des principes de cette organisation se donne dans le linéaire sous la forme d'une spirale. Dans un contexte argumentatif comme dans un contexte descriptif, la progression discursive admet un certain nombre de retours en arrière. Elle s'appuie notamment sur les marqueurs because/cos et so pour élargir le domaine des connaissances partagées et construire le discours sur un consensus. Les structures concernées par ce dynamisme récursif sont du type A because B so A'. Ce phénomène illustre encore le caractère fractal du discours conversationnel, dans la mesure où il s'observe à l'échelle de l'énoncé ou du paragraphe oral, aussi bien qu'à celle de l'épisode thématique, ou qu'à celle de la conversation dans son ensemble.

Troisième partie

Enfin, notre troisième et dernière partie s'intéresse à la façon dont la structuration de la conversation spontanée est liée à la prosodie. Comment les paramètres prosodiques s'inscrivent-ils dans une logique de délimitation, de mise en place et d'organisation des éléments du discours ? Dans quelle mesure sont-ils pertinents aux niveaux discursif, intersubjectif et interactionnel ?
Le chapitre 7 propose une expérience fondée sur l'hypothèse selon laquelle il existe une concordance entre trois plages de hauteur mélodique (déterminées par le calcul) et trois postures intersubjectives. Au terme de cette expérience, il nous semble que la conjonction des deux hypothèses statistique et linguistique a apporté des résultats satisfaisants. Nous avons pu établir la concordance entre plage mélodique haute et forçage du consensus ou discordance, et entre plage basse et égocentrage. Cependant, cette relation n'est pas réciproque, et ne se vérifie pas de façon systématique entre plage moyenne et consensus. Si la mélodie est effectivement spécialisée dans la gestion de l'espace intersubjectif, elle ne fonctionne pas nécessairement de façon redondante par rapport à un segmental déjà porteur d'un investissement énonciatif. En outre, ses modulations ne suffisent pas à caractériser les trois postures de la co-énonciation. Sur le plan intonatif, d'autres paramètres doivent être pris en compte, tels que l'intensité, la durée, et la ligne de déclinaison. Le contexte et la situation ont également une part importante à jouer dans l'évolution de la relation intersubjective.
Le chapitre 8 s'intéresse ensuite au rôle de la pause silencieuse dans la délimitation de différents types de charnières entre constituants de diverses tailles. Nous nous appuyons sur un test visant à évaluer la perception des pauses dans un extrait sonore filtré, non filtré, ou accompagné de la transcription orthographique.
Nous montrons que la perception des pauses silencieuses ne dépend pas seulement de propriétés intrinsèques comme la durée, mais plus largement de critères qui lui sont extérieurs comme leur contexte prosodique, pragmatique et syntaxique. La perceptibilité d'une pause tient en effet partiellement à sa durée, mais également à sa fonction, à son site syntaxique d'occurrence, ainsi qu'à la conduite de la ligne de déclinaison et à l'alternance potentielle des tours de parole. Si certaines pauses sont mieux perçues que d'autres, c'est souvent parce qu'elles correspondent à des charnières plus importantes dans la conversation.
Il apparaît que la contribution des pauses silencieuses à l'appréhension de la construction du discours et de l'interaction se joue à différents niveaux et notamment, pour les pauses étudiées, au niveau de la mise en mots et de la gestion des tours de parole. Il nous reste à montrer dans des travaux à venir comment la pause de focalisation, en isolant certains éléments dans la chaîne linéaire, intervient au niveau discursif et a une fonction modale. Notre test permet de mettre en lumière une différence importante entre perception filtrée et perception non filtrée. L'accès à l'information prosodique seule concentre l'attention des sujets sur la dimension interactionnelle de l'échange, c'est-à-dire sur notre niveau supérieur de l'édifice conversationnel. L'accès aux dimensions syntaxiques et sémantiques quant à lui l'oriente davantage, au niveau inférieur, vers la perception des groupes de sens et de ce qui peut la perturber, notamment les phénomènes relatifs au travail de formulation.
L'objectif de notre dernier chapitre est d'évoquer la gestion de la dimension interactionnelle du discours telle qu'elle s'illustre dans l'alternance des tours de parole. Nous posons que l'un des rôles de l'intensité est précisément de gérer cette dimension et de signaler si un segment a pour ambition de permettre au locuteur de garder la parole. Or, les places transitionnelles, qui constituent les charnières entre tours, sont généralement définies par la théorie pragmatique en termes syntaxiques. La définition même de l'unité tour de parole est problématique si on lui cherche des frontières statiques. Il semble nécessaire d'adopter une perspective souple permettant d'embrasser un faisceau de paramètres.
Nous nous concentrons plus spécifiquement sur une des particularités de l'oral spontané, les chevauchements de parole, et définissons les caractéristiques syntaxiques, sémantiques et prosodiques des segments prononcés en situation de recouvrement de parole. Loin de mettre en péril la compréhension du message, l'organisation discursive ou la relation intersubjective, les chevauchements de parole contribuent au dynamisme récursif propre à la conversation spontanée. Ils ne sont donc pas nécessairement le lieu d'une lutte pour la parole appuyée par une intensité forte et une mélodie montante, témoin, au niveau interactionnel d'un accordage difficile des représentations mentales. Ils favorisent au contraire l'émergence de thèmes productifs et consolident le paysage partagé au sein duquel le consensus se bâtit.

Au terme de ce travail, nous espérons avoir apporté suffisamment d'éléments permettant de valider nos hypothèses de départ, ou, tout du moins, de confirmer leur intérêt dans le cadre d'une étude conjointe de faits syntaxiques et de phénomènes intonatifs de l'anglais oral spontané. Il s'est agi d'éclairer un certain nombre de principes organisationnels s'illustrant dans un corpus conversationnel original. Notre analyse en plusieurs niveaux a notamment permis de rendre compte de la texture du système de l'oral à laquelle segmental et suprasegmental contribuent à part égale. Si l'analyse séparée des deux dimensions a fait apparaître des phénomènes intéressants, la prise en compte conjointe de données contextuelles, sémantiques, syntaxiques et intonatives s'est montrée nécessaire et productive aux niveaux d'analyse qui nous intéressent.
Notre travail contribue ainsi à montrer dans quelle mesure la syntaxe de l'oral, étudiée à travers le prisme de la subordination circonstancielle de cause, réinvestit les formes de l'écrit pour créer un système autre. Caractérisée par un dynamisme récursif, l'organisation du discours s'appuie sur les divers paramètres intonatifs dont la portée dépasse le niveau thématique pour s'étendre à la gestion de l'espace intersubjectif ainsi qu'à celle de l'interaction.
En convoquant des outils et méthodes aussi divers que ceux du traitement du signal, de la phonétique et de la statistique, notre objectif a été de servir la description et l'analyse linguistique d'un domaine particulièrement riche et exigeant. Nous espérons avoir ainsi pu éclairer certains phénomènes relatifs à la hiérarchisation des constituants discursifs, propres, sinon à la langue orale, du moins à un corpus d'anglais oral spontané.

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